Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Photographie 3D « primitive »
Photographie 3D « primitive »
Publicité
Archives
Pages
4 janvier 2014

Les dessous de la crinoline • Crinoline : the "inside" story

 

La bataille de la crinoline 

The battle of the crinoline

 

wCrinoSterBCrinoline, vue anonyme (UK probablement) / British (?) stereoview (by J. Elliott ?), ca 1860. (Collection José Calvelo.)


Vers 1855 environ, la bataille de la crinoline fait rage. Partisans et adversaires de l’accessoire s’affrontaient dans les revues et dans les conversations. Simple étape sans doute dans le conflit séculaire que se livrent tous ceux qui estiment avoir un droit de regard sur la toilette féminine (chacun d'entre nous, en somme ?). Cette guerre relativement civile avait été ravivée par la remise au goût du jour, vers le milieu du siècle, sous le nom de crinoline, des fameux « paniers » et vertugadins qui élargissaient les hanches des belles marquises d’ancien régime.

Les classes dominantes ont été les premières à adopter le coûteux accessoire. Les robes visibles dans les portraits "carte de visite" de la "bonne société parisienne" et celles de la gentry londonienne photographiée par Camille Silvy témoignent non seulement d'un lien évident entre la qualité des tissus et l'opulence personnelle, mais aussi d'une relation entre l'ampleur de la robe et le statut social : les crinolines de la petite bourgeoisie sont d'un diamètre plus retenu.

 

PrincessAlexandraCrinolineAlexandra, épouse du prince de Galles. Vue stéréoscopique publiée par la London Stereoscopic Company en 1863. (Coll. J.C.)

 

wCrinoSterAGroupe jouant à Colin-Maillard. Vue stéréoscopique publiée par Charles Gaudin, vers 1860. (Coll. J.C.)

 

CrinolineFilletteMême les petites filles tentent de bricoler une crinoline avec les moyens du bord, vers 1860. (Coll. J.Calvelo)



L’élargissement progressif mais spectaculaire de la crinoline au fil des ans – et non pas son raccourcissement comme l'autre conflit historique qui agita les sociétés occidentales un siècle plus tard : celui de la mini-jupe – allait rapidement constituer un véritable casus belli aux yeux de ses adversaires. Impossible d’estimer le nombre des non-belligérants qui, par définition, observeront un silence pacifique à ce sujet pendant tout le Second Empire. Cependant, des « poilus » des deux sexes ne vont pas manquer d’ouvrir des tranchées d’où partiront  avec régularité des offensives contre les partisans de la « cage » féminine, que ce soit pour des motifs médicaux, esthétiques ou moraux.

wCrinoSterGLa crinoline, contrairement à la mini-jupe, était portée par toutes les générations. Vue stéréo anonyme, vers 1860. UK ?  (Coll. J. Calvelo.)



Nombreux sont, à l ‘époque, les récits faisant état de mésaventures survenues aux porteuses de crinolines (que les stéréoscopistes ne manqueront pas d'illustrer dans de petites saynètes). Apocryphes dans certains cas, la plupart sont probablement véridiques et ont été parfois signalés dans des publications aussi respectables que le Journal des commissaires de police. Séparée de sa banlieue par une sorte de douane, l’octroi où se payaient les taxes dues à la municipalité, la ville de Paris réprime le trafic des objets interdits ou non déclarés. Ainsi le périodique mentionné rapporte-t-il, en 1866, que des braconniers utilisent des femmes pour faire pénétrer discrètement à Paris, par chemin de fer, du gibier dissimulé sous la crinoline. Mais un gendarme plus observateur que la plupart de ses collègues déjoue le stratagème : « Il pria la femme de le suivre et de relever sa jupe... La femme résista, mais il fallut céder à la force publique, et la dame eut beau crier au scandale, elle s'exécuta. Autour d'une magnifique crinoline, dont les cerceaux étaient d'acier solide, étaient pendues trois douzaines de perdreaux ! »

wCrinoSterLVue stéréoscopique anonyme (UK), vers 1860. Les risques de la crinoline dans les transports en commun. ca 1860. (Coll. J. Calvelo.)

 

CrinoDiligenceA. Silvester, New Omnibus Regulation : "Werry sorry'm, but yer'l'av to leave yer Krinerline outside." (Vide Punch). ca 1860. (Coll. J. Calvelo)

 


Ailleurs, un livre d’anecdotes mentionne le cas d’un homme gêné sur le trottoir de la rue Laffitte, à Paris, par une crinoline fort volumineuse, mais qui veut éviter de mettre le pied dans le ruisseau qui coulait au bas du trottoir : « Il appuie donc légèrement la main sur le côté gauche du jupon Malakof, afin de se frayer un passage. La belle, offensée, le toise dédaigneusement, et laisse échapper de ses lèvres roses des épithètes peu polies. Le monsieur, qui sait vivre, retire son chapeau, et dit à la dame : "Pardon, je ne savais pas qu'en touchant à la cage, je faisais du mal à l'oiseau." »

Quelques cas sont vraisemblablement plus dramatiques : deux entrepreneurs du Staffordshire, à la suite d'accidents sans doute, ont été forcés de défendre l'usage de la crinoline dans leurs ateliers pendant les heures de travail. 

 

Madame Bovary à la campagne
De l’avis général, les grandes capitales européennes ne sont pas les seules à succomber à cette passion éphémère pour la crinoline.
Les voyageurs en quête d’exotisme vont découvrir parfois avec étonnement que, dans les plus petits hameaux, des paysannes proches de l'indigence ont déjà la tête farcie de rêves de crinoline et de jupons :
« Dans une chaumière au sommet des Apennins, un peu au-dessus des nuages, j’ai vu des filles en crinoline ! Il n’y avait pas un morceau de pain dans le buffet », écrit un touriste en 1860.

Ailleurs, la crinoline peut provoquer des embarras simplement cocasses :

« Une dame (...) se présentait l'autre jour pour entrer à l'Exposition ! Tu sais que des tourniquets compteurs sont établis à chaque porte, et que, pour des raisons diverses, mais toutes bonnes, le passage est très étroit. Or, cette dame, après avoir déposé sur le comptoir le prix de son entrée, lance sa taille svelte dans les bras d'acier du tourniquet. La taille passe, mais les jambes et la crinoline restent en arrière. En vain elle se tourne, se retourne, froisse ses volants, fait crier sa jupe de soie, courbe ses baleines, le détroit impitoyable, resserré entre deux barres de fer, ne cède pas. La foule arrêtée rit, puis trépigne ; les larmes montent aux yeux de notre élégante, qui, fatiguée de la lutte, humiliée, vexée, cède et se retire... la robe et la crinoline un peu endommagées. On ne dit pas ce qu'elle devint après sa défaite, ni ce qu'elle a sacrifié du jupon ou de l'Exposition... Mais la même scène plaisante peut se renouveler ; aussi, dans l'intérêt de ses élégantes visiteuses, le Comité de l'Exposition devrait faire établir un tourniquet spécial à une entrée particulière, avec cette inscription : Entrée des crinolines. » Journal des demoiselles, 1855

 

et d'autres qui auraient pu devenir sérieux :
En Galicie (Pologne-Ukraine), « les rabbins intervinrent. Celui de Cracovie prit l’initiative en déclarant la crinoline une œuvre du diable, et en défendant aux femmes de se présenter sous ce vêtement dans la maison de Dieu. Tous les autres rabbins de Gallicie suivirent son exemple. Cependant, quelques dames voulurent faire exception et parurent ici, le 4 de ce mois, accompagnées de messieurs, dans la synagogue, avec des crinolines. Immédiatement, un certain nombre de juifs de bas étage se ruèrent sur elles à coups de bâtons et de couteaux, et elles eurent peine à s’échapper la vie sauve. »


Sans soulever de redoutables passions religieuses, les adversaires de la crinoline ne se déclarent vaincus ni par l’immensité de son succès ni par l’étendue de sa diffusion. La gêne qu’elle occasionne dans des édifices et des lieux publics qui ne sont pas conçus pour laisser passer des vêtements aussi amples est avancée par certaines de ses utilisatrices, fashion victims avant la lettre, comme par ses détracteurs. Les théâtres, les moyens de transport sont l’occasion d’incidents . Les machines (certaines ouvrières semblent avoir porté la crinoline, de sorte qu’on les interdit parfois dans certaines usines) et le feu semblent avoir donné lieu à des accidents bien réels.

wCrinoSterC"A stylish affair", Michael Burr, vue stéréoscopique, vers 1865. (Coll. J. Calvelo.)



« Il circula une multitude d'histoires défavorables à la mode, nouvelle : madame X*** n'avait pu entrer dans sa loge à l'Opéra ; mademoiselle Z*** avait été forcée, par les dimensions de sa crinoline, de renoncer à monter dans une voiture de louage; au marché aux fleurs, un imprudent moineau s'était fourvoyé sous la cloche d'une crinoline, où il était resté prisonnier. En dépit de tous les quolibets, les toilettes tapageuses se sont maintenues, renforcées par des robes à cinq ou six volants. » in Histoire de la mode en France, par Emile de La Bédollière.

Mais les partisans de la crinoline ne se rendent pas. Leurs motifs sont variés.

wCrinoSterJVue stéréo anonyme, vers 1860. Anonymous stereoview, ca 1860. (Coll. J. Calvelo.)

Certains semblent séduits par la simple beauté du vêtement.

Un voyageur français en Espagne commente  très joliment : « Lorsque du haut de mon balcon je voyais les dames descendre au Prado, dans ces robes gonflées d'air, il me semblait avoir sous les yeux de petites sonnettes d'appartement qu'il eût suffi de soulever de terre pour faire tinter, les jambes pouvant remplir le rôle de battant de cloche et se démener tout à l'aise dans l'espace. » Antoine Laurent Appolinaire Fée, L’Espagne à cinquante ans d’intervalle 1809-1859,  Michel Levy frères, 1861.

 

wCartesCrinoVue stéréoscopique enluminée anonyme (mise en scène dans l'atelier), vers 1860 : Une partie de cartes. France ? UK ? (coll. J. Calvelo)

 

Plusieurs littérateurs prennent la défense du « panier ». Dans un « éloge du maquillage », Charles Baudelaire défendait le droit et même le devoir pour la femme « d’emprunter à tous les arts les moyens de s’élever au-dessus de la nature ».

Théophile Gautier prend, quant à lui, la défense de la « cage » dans son article De la mode publié en 1858 : « Les femmes ont raison qui maintiennent la crinoline malgré les plaisanteries, les caricatures, les vaudevilles et les avanies de toute sorte. (…) Cette masse de riches étoffes fait comme un piédestal au buste et à la tête, seules parties importantes, maintenant que la nudité n’est plus admise. (…) une jeune femme décolletée, les bras découverts, coiffée comme nous l’avons dit et traînant après elle des flots de moire antique, de satin ou de taffetas, avec ses doubles jupes ou ses volants multiples, nous semble aussi belle et aussi bien costumée que possible, et nous ne voyons pas trop ce que l’art aurait à lui reprocher. Par malheur, il n’y a pas de peintres contemporains ; ceux qui paraissent vivre de notre temps appartiennent à des époques disparues. L’antiquité mal comprise les empêche de sentir le présent. Ils ont une forme de beau préconçue et l’idéal moderne est lettre close pour eux. »

L’impératrice Eugénie, qui avait puissamment contribué à son lancement (peut-être par nostalgie de son héroïne personnelle, l’autre « étrangère », Marie-Antoinette) continue à la soutenir, tout simplement en la portant, malgré les attaques des adversaires.

wCrinoParaDeux femmes dans un jardin, stéréo anonyme (probabl. française), vers 1860. Anonymous (probably French), ca 1860  (coll. J. C.)



La querelle de la crinoline n’est pas limitée aux journalistes et aux écrivains. Les photographes stéréoscopistes sont en état d’alerte. Il n’a sans doute pas échappé aux plus cupides d’entre eux, quelle que fût leur opinion personnelle sur cette mode féminine, que les passions et l’intérêt soulevés par la crinoline étaient un filon potentiellement lucratif. D’autres se sont sans doute intéressé au fait esthétique ou social, tout simplement.

Certains photographes adopteront une attitude plutôt sobre qui les amènera à prendre acte de la nouvelle mode en illustrant les préparatifs, habituellement dissimulés, d’un habillage. (C’est l’attitude, par exemple, d’une série de la LSC publiant « Dressing Room Secrets » ou « Mysteries of crinoline », non illustrée ici).

 

wCrinoSterDVue stéréo anonyme, vers 1860. Anonymous stereoview, ca 1860. (Coll. J. Calvelo.)

 

 

wCrinoSterEVue stéréo anonyme anglaise, vers 1860. British anonymous stereoview, ca 1860.
New Omnibus Regulation : "Weery 'appy to take you, Miss, but you must leave your krinerlin outside" (Coll. J. Calvelo.)

 

 

CrinolineVoitureUne autre version du même genre de scène : "Werry sorry Mam, but yer'l av to leave yer Krinerline outside"
Anonymous British stereoview, ca 1865.  (Coll. J. Calvelo.)

 

Mais d’autres photographes mettront en scène les mésaventures provoquées par l’encombrant accessoire. Ainsi font leur apparition dans les étals des marchands d’estampes et des éditeurs de vues stéréoscopiques des séries (surtout britanniques) telles que « Les dangers de la crinoline » (titre, d’ailleurs, d’un pamphlet ayant circulé en Grande-Bretagne en 1858) ou « Les difficultés de la crinoline ».

Les situations imaginées manquent souvent de finesse. Ce sont déjà les mêmes péripéties triviales typiques du vaudeville et qui distingueront le cinéma burlesque une cinquantaine ans plus tard : échos d’incidents véridiques, probablement, les chutes provoquées par l’arsenal démesuré des baleines, et les femmes dont la crinoline amène la chute d’une passante innocente.  Ce sont aussi des embarras dans les transports en commun, comme dans la vue ci-dessus. Les coches n’étant pas conçus pour des vêtements aussi amples, telle voyageuse se voit refuser l’entrée dans la voiture par un cocher désobligeant qui lui demande, dans son jargon, de laisser ses crinolines (krinerlin !) à l’extérieur.

wCrinoSterHThe Dangers of Crinoline, Michael Burr, vers 1865.  (Coll. J. Calvelo.)

 

Ou bien, une coquette voit ses enfants mettre à mal sa garde-robe :

wCrinoSterI

The End of Crinoline, vue stéréo anonyme (UK), vers 1860. (Coll. J. Calvelo.)

Les situations légèrement grivoises ne manquent pas non plus : telle vue stéréo montre l’amant caché sous l'ample crinoline de sa maîtresse pour échapper à la vue du (présumé) mari :

 

wCrinoSterKVue stéréo non signée (probablement James Elliott), vers 1860. Unsigned British stereoview (James Elliott ?). ca 1860 (coll. J.C.)

OU, autre raillerie, ne pouvant se tenir par le bras, en raison de l'ampleur extrême de la crinoline, un couple est enchaîné par une sorte de laisse :

 

CrinoLaisseVue stéréoscopique anonyme (France ou UK ?), vers 1860. (Coll. J.C.).

 

 ou bien encore, des vues aguichantes (une spécialité française à l'époque) où le volume des tissus ne fait que stimuler l'intérêt des chairs qui en émergent :

wCrinoSterFVue stéréo anonyme (française probablement), vers 1860. (Coll. J. Calvelo.)

 

Après une décennie de règne indisputé, la crinoline commence à passer de mode.

Le faire-part de décès de l'usurpatrice est publié par La Revue trimestrielle de Bruxelles en janvier 1866 :

« La crinoline meurt ! La crinoline est morte !
La mode l’apporta, le caprice l’emporte.
Paraître, c’était vaincre : elle avait, à bas prix
Détrôné les paniers et les culs-de-Paris ;
Ses étages d’acier, véritables prodiges,
Faisaient, à volonté, des Vénus callypiges,
Pour que l’égalité, du corsage au talon
Etendît son niveau, sous forme de ballon. »

 

FinCrinoline"The Last of the Crinoline", vue stéréoscopique anonyme anglaise, vers 1865. British anonymous stereoview, ca 1865. (Coll. J. C.)

 

FinCrinolineVersoLégende collée au dos de la vue précédente. (Coll. J. C.)

 

Vers 1875, quand cette dame allemande est photographiée par Loescher & Petsch, la crinoline est déjà morte, même si la robe nous paraît encore très ample.

 

RobeCouleursLoescher & Petsch, Une femme tenant une lettre, vers 1875 (Coll. J. Calvelo.)

 

 

Requiescat in Pace

 

 

Follow this link to the Main page of the blog
Lien vers la page d'accueil du blog

 

La photographie en relief primitive

William Morris Grundy, Hunters/Chasseurs, negative G997, stereoview, ca 1857 (Collection José Calvelo) William Grundy, Rural and Pastoral Scenes in England, stereoview (Collection J. Calvelo) William Grundy ?, Unknown Church (negative 386), stereoview (Collection J.

http://stereoscope.canalblog.com

 

 


Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité